Cédric Lerible…un poète à la quadrature du cercle (1/3)

J’avais prévu, j’avais écrit un préambule et puis il m’a semblé que ce n’était pas essentiel. Alors, voilà, je vous présente Cédric Lerible. On se connaît depuis longtemps. Je me souviens de sa grande silhouette. De l’auberge de jeunesse. De Sète bien sûr. Cette rencontre a ouvert l’horizon. Alors, j’espère que vous aurez l’envie d’en savoir plus.

Pauline Catherinot : Alors commençons cette rencontre avec une question simple mais essentielle (je crois) : aurais-tu une définition du mot « poésie » à nous proposer ?

Cédric Lerible : La poésie n’est jamais ce que l’on croit ; c’est un regard neuf, une surprise permanente qui s’adresse à tout le monde ; c’est l’inattendu, la liberté, pas de règles, juste la liberté de s’en fixer ; c’est l’autre, ce qu’est l’autre est poésie, l’étrange et l’étranger qui devient commun, proche et nécessaire, bref une ouverture incommensurable ! 

Pauline Catherinot : Te souviens-tu de ton premier choc poétique ?

Cédric Lerible : : Non, pas de choc premier mais pêle-mêle : une pub TV Chocolat Crunch en 1983 ; des images télévisuelles de la guerre du Golfe début 1990 ; un livre de poèmes sur les 4 saisons au moment où j’apprenais à lire ; des pique-niques dans la campagne parisienne ; des définitions de mots à trouver dans le dictionnaire ; des canettes de bières qu’il me fallait slalomer sur un parking pour apprendre à maitriser mon vélo etc.

Pauline Catherinot : Est-ce que ces images sur la guerre du Golfe ont eu un impact sur ta perception du monde ?

Cédric Lerible : C’était la première fois qu’une guerre m’apparaissait autrement que dans les livres d’histoire. Un choc oui ! Cela m’a poussé à écrire un poème anti militariste. J’étais au collège, en 4e et la Conseillère principale d’éducation l’avait affiché dans ma classe, je n’aurais jamais osé… Quelques camarades de classe ont eu la malheureuse idée de le prendre pour cible avec la pointe de leur compas…

Pauline Catherinot : Et je reviens à ma question sur le choc poétique, s’il n’y pas eu de choc mais du chocolat, il y a peut-être eu la découverte d’un recueil ou d’un auteur… Albert Camus par exemple ?

Cédric Lerible : Si, si, si, j’insiste, cette publicité est incroyable… Il s’agit du « chocolat qui croustille ». Pourquoi ? Parce qu’il est composé de riz soufflé. C’est une merveille de publicité en 30 secondes seulement !!! Dans la rue, un concert est soufflé, public et orchestre, instruments à vent compris, les conventions sont balayées simplement parce qu’une jeune fille a décidé de croquer à pleines dents une tablette. J’en suis encore soufflé… Bon, il est vrai que plus tard, beaucoup plus tard, bien après le souffle (encore chaud) du « Dormeur du val », il m’a fallu attendre la fac de lettres pour découvrir Francis Ponge. Non pas un choc mais un véritable uppercut dont je ne me suis jamais vraiment remis. Je pouvais écrire de la poésie de cette manière-là ! Extraordinaire ! Quelle précision ! Quelle imagination sans cesse renouvelée, sans cesse remise en question, le doute du poème, sans cesse recommencé, le manège des mots… Oui Albert Camus, son humanisme intrinsèquement lié à sa dimension méditerranéenne bien sûr et tant d’autres, à la pelle !

Pauline Catherinot : (PS : j’ai bien vu que tu avais tenté de changer mon nom, mais on ne me la fait pas… j’ai l’oeil) As-tu un livre de chevet ?

Cédric Lerible : Non mais une table de chevet composée de livres…

Pauline Catherinot : Alors ? Peux-tu nous révéler un ou deux titres qui permettent le maintien de cette table-livres de chevet ?

Cédric Lerible : En ce moment : les cours du Bahauss de Paul Klee, Tarkos en poche, Philippe Denis « Chemins faisant », « Les clefs de la ‘Pataphysique », les œuvres de Pérec et Valéry dans la Pochotèque, « Quand dire c’est faire » de Austin, « Le livre de sable » de Borges, le catalogue Dubuffet au Mucem, l’anthologie de Ôoka Makoto « Poèmes de tous les jours », « Un art contextuel » de Paul Ardenne, Étienne Klein « Ce qui est sans être tout à fait » etc.

Pauline Catherinot : Quel est l’endroit idéal pour lire ?

Cédric Lerible : Tout dépend du livre.

Pauline Catherinot : Quel est ton cursus ?

Cédric Lerible : Improbable !

Pauline Catherinot : C’est probable ou improbable. Je ne sais pas trop. Mais il y a dans ce cursus des trajectoires intéressantes, j’utilise le pluriel volontairement. Il y a eu la question du chemin, de l’apparition de ce chemin. Dommage, on ne saura pas… alors je dévie un peu la trajectoire mais cela devrait aller, il y a forcément une trajectoire avec un poète qui a écrit sur les giratoires. Comment es-tu venu à la poésie ?

Cédric Lerible : De manière naturelle, l’envie d’exprimer une idée, une image, une impression, pour fuir les devoirs scolaires, m’abandonner à une forme de mélancolie…   

Pauline Catherinot : Comment parviens-tu à trouver l’équilibre entre ton travail de bibliothécaire, d’éditeur (avec la revue Teste) et de poète ? L’équilibre est-il difficile à trouver ?

Cédric Lerible : :    « l’art c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art » dit Robert Filliou. Tout cela arrive, s’impose, trouve sa nécessité et ses paradoxes. Être poète c’est être tout ça à la fois, avoir de multiples casquettes. Toutes mes activités s’alimentent les unes, les autres et sont interdépendantes. 

Pauline Catherinot : L’acte poésie doit-il nécessairement passer par le corps ?

Cédric Lerible : Oui !!! longtemps j’ai cru que c’était uniquement un acte cérébral, grave erreur ! Francis Ponge en parle très bien dans “La Table”, cette façon dont le poème circule dans le bras jusqu’à la pointe du stylo. C’est un acte, un engagement, une éthique de vie, un état d’esprit, une voie… rayez les mentions inutiles, je n’en trouve pas pour ma part. La poésie est transpiration, sécrétion… reste à savoir ce qu’on en fait ensuite.    

Pauline Catherinot : Poète sonore ? Poète visuel ? Poète engagé ? Poète rond-point ? Poète poing ? Poète corps ? Quel poète es-tu Cédric Lerible ?

Cédric Lerible : Tout cela à la fois et bien d’autres choses encore…

Pauline Catherinot : Comment parviens-tu à échapper aux étiquettes ?

Cédric Lerible : Les étiquettes sont faites pour voler en éclats. Il semble que plus nous réduisons le monde et moins nous sommes ouverts à sa diversité, à sa richesse. On ne le voit plus que par une petite fenêtre, ce monde si vaste et étonnant… On en oublie l’essentiel. À l’échelle planétaire nous assistons ainsi à certains replis identitaires ! Les étiquettes, ça finit toujours par gratter dans le dos, à devenir le bât qui blesse…   

Pauline Catherinot : Comment expliques-tu ces replis identitaires ? La poésie peut-elle faire quelque chose ?

Cédric Lerible : Je me suis exprimé plus loin sur cette question de l’altérité, du regard porté sur son prochain, nous n’allons pas dans la bonne direction. La société de consommation, clairement pilotée par le capitalisme outrancier, nous a rendu dépendant d’une certaine forme de confort, véritable os à ronger. Quand on ne sait plus penser, il ne reste plus qu’à rester chez soi et à croire à n’importe quoi, à commencer par le risque de perdre ce qu’on a, qu’on nous en prive, qu’il faille le partager…

Pauline Catherinot : La poésie est-elle l’endroit du cercle ?

Cédric Lerible : La poésie c’est la résolution de la quadrature du cercle !

Pauline Catherinot : Et pour boucler le cercle (pour cette première partie), une référence au Photogramme d’une vidéo inédite de Sophie Menuet (2018) : quel regard Cédric Lerible porte-t-il sur Cédric Lerible et inversement ?

Cédric Lerible : Ce serait plutôt quel regard porte Sophie Menuet sur mon crâne et moi sur son travail ?… L’oreille est au centre de la tête dit-elle. J’aime cette idée (reprise en couverture du TESTE 33) elle nous questionne sur l’écoute, l’attention portée au bruit du monde. Nous regardons trop et nous ne savons pas regarder, nous n’écoutons pas assez, nous ne savons pas écouter. « Ne sachant pas écouter, ils ne savent pas parler » dit Héraclite ou encore « pour ceux dont l’âme est inculte, les yeux et les oreilles sont de mauvais témoins ». Mais suis-je bien placé pour relayer cela ?…

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