Ce que le temps a donné à l’homme

Réalisation: Sandrine Bonnaire / Durée: 52 minutes

Prix du meilleur documentaire musical de création 2015 aux États généraux du film documentaire – Lussas « Le Prix SACEM du Meilleur Documentaire Musical de Création vient d’être décerné lors des États généraux du film documentaire à Lussas (16-22 août 2015) au documentaire »Ce que le temps a donné à l’homme », un portrait intime et sensible de Jacques Higelin réalisé par Sandrine Bonnaire, coproduit par ARTE France et ADL TV Production, diffusé le 1er novembre 2015 »

14h30… et se trouver devant le musée d’Orsay. Qui a peur des femmes photographes? Dans la file. Observer les gens qui ne regardent pas autour d’eux. Ne voient pas l’éléphant. Ne voient pas les initiales sur la façade. Sont connectés au monde. Le nez vers l’écran. Téléphone sonne. Voix. Un autre fil.Voix D. Voix qui a une place pour la projection du film de Sandrine Bonnaire. Hésiter quelques secondes. Puis abandonner le groupe pour traverser Paris. Les ailes dans le dos. Je cours. Je traverse le parc. Je réfléchis. Je cours. Je monte dans le métro. Je respire. Je reprends mon souffle (à défaut du sport). Je le mets dans la gorge, dans le torse. Je lutte contre le temps. Je tente l’arrêt mental de ses aiguilles. Le trajet me semble durer une éternité. Une courte éternité de quarante-cinq minutes mais quand même. Pantin enfin. Le bout du chemin, de la ligne orange ou cinq. Je me glisse hors de la rame. J’y suis. Je cours. Je saute les marches deux à deux. Je respire à l’intérieur de mes gencives. Poitrine en feu. D. m’attend. Je reprends mon souffle (encore). Je me laisse emporter. Couloir. Portique. Librairie musicale. Le regard s’arrête à peine sur les disques d’Higelin. On entend sa voix. Je ne me souviens plus du morceau qui passait à ce moment-là. On descend. Deux places nous attendent. Plein centre. Deuxième rang. Trois fauteuils vides sont sur la petite scène. Toile blanche tendue. Je respire. On discute quelques instants de la vie, du concert de la veille, de musique…

Higelin documentaire

Et puis soudain. A jardin. Sandrine Bonnaire et Jacques Higelin entrent. Quelques mots avant la projection. Dans la bonne humeur et la simplicité. Et puis, le presque silence. Descendre les marches. La salle suit le duo du regard, leur progression à travers les fauteuils. La recherche de deux places. « Par ici. » « Il n’y a qu’une place et nous sommes deux ». Moment à part. Une parenthèse improbable où les artistes cherchent, errent, passent à travers les fauteuils, montent… On leur fait signe que leurs places sont en haut. Une fois l’ascension terminée. Jacques Higelin nous souhaite une bonne projection.

Sandrine Bonnaire et Jacques Higelin se sont croisés dans un train. Une rencontre marquante, qui s’est muée en complicité et en un titre, « Duo d’anges heureux », sorti dans le dernier album du chanteur. Cette amitié a donné envie à la comédienne et réalisatrice, auteure d’un beau portrait documentaire de sa sœur autiste (Elle s’appelle Sabine), de chercher ce qui se cache derrière l’image de baladin exubérant du grand Jacques. « J’aime bien être regardé par cette femme en qui j’ai confiance », glisse le chanteur. Sa mère déclara un jour à une institutrice un peu dure : « Vous n’en tirerez rien si vous ne l’aimez pas. »

Les lumières s’éteignent et puis les premières images, le générique, les applaudissements (dans la salle et dans le film). Tout se croise, se mélange. Le temps de la narration. Le temps présent. La bande son est fabuleuse… entre archives, concerts, films.  Les souvenirs. Sa grand-mère, Henri Crolla, les Lettres d’amour d’un soldat de vingt ans, ses enfants….  L’envie d’applaudir. On aurait presque pu imaginer un documentaire en 3D. La caméra de Sandrine Bonnaire attrape les instants… à Pantin, en Corse, sur la route…comme Kerouac… Pas de voyeurisme. Le prolongement. La justesse. La discussion véritable et complice. L’œil bienveillant. Les premières images donc. On entend les applaudissements d’une salle et puis la voix et puis l’instant complice dans une chambre d’hôtel. Le prolongement d’une discussion entre les deux artistes. Le dernier soir. Le dernier moment avant d’éteindre la caméra. Tendre. C’est le mot je crois. Tendre… Il y a un enchevêtrement de deux moments, deux chronologies qui se croisent… ce que le temps a donné à l’homme entre et en dehors de ces deux points. Points de suspension. Points d’envol. Suivre le dos, les épaules d’Higelin. J’ai aimé ces moments de silence (même si on imagine qu’avec la voix de Sandrine Bonnaire, cela doit être beau… encore davantage). Découvrir aussi certaines archives que je ne connaissais pas, certaines histoires autour des chansons. On oscille donc, on suit ce fil, cet aller-retour dans la vie. C’est un film vivant, en mouvement… et cela ressemble à Higelin et à Bonnaire aussi je crois. La marche lente et sincère. On comprend pourquoi ce film a reçu un prix. Cela change de ces documentaires qui commentent. Là, c’est une conversation parfois intime, une plongée dans l’univers, dans la vie du chanteur. Avec de très beaux échanges. Je pense à Alice Botté. Je pense à Mahut et aux mots justes et vrais. On ne triche pas. On ne cherche pas à rendre Higelin meilleur qu’il ne l’est. Des failles. Des sursauts. Des forces. L’interrogation, les problématiques de l’homme. Le film se termine. Trop vite. De longs applaudissements. J’ai la gorgé nouée. Un très beau film. Vraiment. Sensible. Fragile et fort à la fois. Sur un fil. De très belles images. Presque trop court. Le temps est passé trop vite. Ovation de la salle. Sandrine Bonnaire prend la parole. Elle est un peu déçue. En effet, il manquait la voix-off. Sa voix… Les lectures des lettres d’amour d’un soldat de vingt ans. On peut comprendre sa déception même si, pour ma part, je l’ai entendu sa voix à elle. Toute en douceur, en sensibilité. Je l’ai entendu sa belle voix dans les silences, dans les mouvements de caméra. Convaincue d’avoir vu un très très beau documentaire. Heureuse de l’avoir vu ici à la Philharmonie. Après quelques petites minutes,  on leur demande de rejoindre la salle. Mais bon, Jacques Higelin est très bien là-haut et il n’a aucune envie de redescendre pour ensuite remonter (ce qui peut tout à fait se comprendre). Il nous demande si on est bien comme ça. La salle répond oui. Le journaliste descend, insiste. Mais rien n’y fait. Jacques est bien là-haut. Sandrine Bonnaire descend également. Jacques est toujours là-haut. Il faudra l’intervention bienveillante de Domminique Mahut pour enclencher la marche. Des éclats de rire ici et là… L’interview a pu commencer. J’ai parfois trouvé les questions maladroites, déplacées (parce qu’intimes – parce que j’avais l’impression qu’il cherchait à avoir des détails croustillants, qu’il cherchait à recueillir des propos alarmistes sur le devenir du chanteur… ) De nombreuses idées reçues… aussi. Dommage!!!

« Ce que le temps a donné à l’homme – Jacques Higelin », le documentaire réalisé par Sandrine Bonnaire, sera diffusé dimanche 1er novembre surARTE à 22h55.

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Anonyme dit :

    J’ai regardé hier soir le documentaire de Sandrine Bonnaire sur Higelin, émouvant, sur le fil, comme si c’était la dernière fois, magique par ses images d’hier et d’aujourd’hui, troublant par la traversée du temps et toujours vivant.

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